Le mois d’octobre 2017 aura été une période de bouleversements dont nous nous souviendrons longtemps. Avec les allégations d’inconduite et de harcèlement sexuel de personnalités, puis les douloureuses divulgations #moiaussi, les hommes et les femmes ont dû se regarder dans le blanc des yeux. Beaucoup ont par la même occasion posé un regard sur leur passé. Juste avant le mois des morts, certains ont déterré des secrets enfouis bien loin, qu’ils ont partagés — ou non — avec autrui.
Comment dire quand on n’a jamais dit? Dévoiler un secret, que ce soit du domaine des agressions passées ou tout autre secret que l’on n’aurait jamais imaginé divulguer, c’est comme le départ d’une fusée. Tant qu’elle ne décolle pas, on ne connaitra jamais sa trajectoire finale.
Mon grand secret, d’une tout autre nature, a quitté le sol par écrit. C’est connu de mes proches, je préfère écrire que parler. Personne ne sait mieux se taire que moi. Alors j’écris parce que ma voix et mon âme ne peuvent être interrompues par le filtre des autres. Parce que je choisis mes mots et que personne ne peut en mettre des différends dans ma bouche. Les questions d’autrui étouffent trop souvent mes ardeurs. En écrivant, je prends le temps de comprendre et d’exprimer mes réponses.
J’ai eu récemment avec mon mari une conversation par texto de plusieurs heures, alors que j’étais stationnée coin Jean-Talon et Décarie. Le sujet? Il m’appartient. Maintenant, il lui appartient aussi. J’ai pu nommer mon drame, celui qui scinde mon âme depuis mon adolescence. Parce que quand on se voit offrir un secret, il faut le recevoir avec attention, mon amoureux a fait la meilleure chose qui soit. Il n’a fait que poser des questions courtes, sans jugement aucun et sans interprétation. J’écrivais ma vérité puis je faisais en moi un décompte. 3-2-1 et j’envoyais.
Quand je suis retournée à la maison, le ciel était clair. Nous nous sommes serrés dans nos bras longtemps. Pour la première fois de ma vie, j’avais tout dit sans avoir prononcé une syllabe. Pour la première fois aussi, j’ai eu l’impression de sentir le fond de mon ventre vide, sans «bibittes». Il était en forme de U tout propre. Je ne savais pas que l’on pouvait ressentir ça. En tous les cas, je ne pensais pas que moi, je pourrais en faire l’expérience un jour. Qu’ils ont de la chance ceux qui vivent sans secret, avais-je pensé pendant des décennies. J’avais décidé que ma fusée à moi ne verrait jamais ni la lune ni le soleil, mais il fut autrement.
Il n’y a pas eu d’explosion. Je suis toujours vivante. Tout a vibré, mais j’ai atterri. Autour de moi aujourd’hui, rien n’a changé du décor, mais l’air est frais, ravivé. J’aimerais encapsuler cet oxygène pour m’en souvenir à jamais, comme une bonbonne dont je pourrais me servir le jour où j’aurai encore besoin d’exprimer ma vérité. Même celle que je pense impossible à dire ou à écrire. Car le partage au quotidien est l’entrainement qu’il faut pour réussir ses vols et surtout, pour se protéger de l’implosion.