Cela m’a frappée comme une tonne de briques: je ne peux plus me reposer à la maison. C’est tellement gros comme affirmation que je ne l’ai pas cru moi-même quand on me l’a suggéré pendant la période des fêtes. En faisant visiter ma demeure à des copines pendant un souper que je faisais à la maison, mon amie Ruby s’est exclamée en réalisant que mon bureau était tout juste à côté de ma chambre: « mais comment peux-tu dormir avec ton ordi de l’autre côté de ta porte de chambre? » Je lui ai répondu que c’est comme cela que je fonctionnais depuis des années et que je ne pourrais travailler autrement.
Comme bien des gens, mon ordi est too close for comfort. C’est le lot des pigistes, des entrepreneurs et d’un peu tout le monde qui a un portable en 2018 d’être organisé de la sorte. On se convainc que l’on sauve des heures en faisant du télétravail. Quand on a des enfants, on croit que c’est le seul moyen de gérer bébé et deadline en même temps. Avec les années, on prend le mauvais pli de se pencher devant son ordi au saut du lit, même les week-ends, pour s’avancer. Il n’y a pas seulement que l’entretien physique de la maison à faire chez soi. Il y a le ménage virtuel de sa dompe à courriels.
Entre les demandes constantes (dans mon cas) des centaines de courriels d’agents de presse qui veulent que l’on parle des livres, des disques et des marques dont ils font la promotion, la gestion du bureau (le vrai, pas celui à la maison), les demandes de conférences, d’entrevues, les suivis de dossiers, les courriels de fêtes d’enfants et d’activités des écoles, les pourriels et les infolettres, je pourrais rester devant mon ordi 18 heures sur 24 à les traiter et je n’en viendrais pas à bout, même avec l’aide de ma rédactrice Josée et celle de la meilleure adjointe au monde, Émilie. Tout le monde pitche sa requête dans un dépotoir de demandes. Comme une bonne étudiante, je pense au petit cœur de chaque personne qui attend une réponse et mon petit cœur flanche. Il va penser que sa demande n’est pas importante… Le sont-elles toutes vraiment? Le flot de A: De: CC: et CCC: nous fait chavirer dans un univers qui nous éloigne de la création, du travail satisfaisant et de l’avancement, comme si nous embarquions chaque matin sur une bicyclette stationnaire sans avoir à donner de coup de guidon dans la direction désirée. C’est elle qui mène, et dans la majorité des cas, elle ne nous mène nulle part.
Que nous faut-il pour décrocher aujourd’hui? Il faut partir de chez soi. Avoir des vacances de sa propre demeure pour oublier le bureau! J’ai réussi en partant avec mon chum dans le sud en amoureux. Pour la première fois depuis très longtemps, j’arrivais à me réveiller à 9h, même 10h sans avoir cette boule d’angoisse dans le plexus en ouvrant les yeux. Tout le monde ou presque arrête pour Noël, la seule fois dans l’année où l’on se permet de remettre nos dossiers à plus tard en janvier.
Par la suite, je suis allée au chalet. Atterrée par un rhume, je n’avais pas la force physique ou mentale pour lever le petit doigt. J’ai été capable de décrocher comme une grande, mais aussitôt revenue chez moi, même encore en vacances, je suis redevenue l’esclave de ma machine. Le premier matin fut brutal et excitant à la fois. Réveillée (par ma vessie) à 6h, j’aurais bien voulu faire la grasse matinée, mais mon ordi m’appelait, avec un chant des sirènes si envoûtant… Même avec mes bouchons de cire, je l’entendais me chuchoter tout plein d’idées malsaines…
Il me suggérait que je pourrais enfin lire ce nouveau livre qu’une auteure m’a envoyé et qui git, sur mon bureau, un peu en dessous de la pile de 20 œuvres toutes aussi inspirantes les unes que les autres. Allez… C’est le temps Mitsou… Dans le même souffle, les sirènes me susurraient aussi que j’aurais pu écrire un texte sur la charge mentale du télétravail, et ce avant que mon chum ou que mes enfants se réveillent… J’ai opté pour la deuxième option, car malgré ce que j’en dis, ma vie devant l’ordi est passionnante. C’est ça qui me branche. Devrais-je déménager mon bureau au sous-sol pour qu’il ne soit pas si attrayant de prendre mon café attablée devant une nouvelle page Word toute blanche au lieu de regarder la neige tomber par la fenêtre de ma cuisine?
Il y a la gestion du stress, mais pas au détriment de la gestion de la passion. Faudra seulement faire passer la deuxième en premier et s’excuser à l’avance pour les réponses aux courriels qui ne viendront peut-être jamais…
Sur ce, je dois vous laisser. Ma plus jeune vient de se réveiller et fait juste en bas de mon bureau, son chant du déjeuner…