Jamais ô grand jamais Annie Brocoli n’aurait cru tenir dans ses mains un livre écrit de ses dix doigts!
Mercredi soir, famille, amis et proches d’Annie se sont donné rendez-vous à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal pour le lancement du livre En mal des mots. Dans son livre, Annie dévoile tout ce qu’elle a tenté pour cacher son mal des mots, car elle ne décodait pas les lettres et ne parvenait pas à lire un livre en entier. Ayant apprivoisé sa dyslexie, elle souhaite aujourd’hui en faire sa poésie, la rendre attachante. Son livre raconte comment elle a fait la paix avec sa différence, ainsi que son désir de soutenir ceux et celles qui découvrent la leur à cette époque où les outils ne manquent pas.
Sur place, ses enfants, tout comme ses amis qui l’ont soutenue pendant les dernières années contre vents et marées (Maxime Landry, Geneviève Brouillette, Anick Lemay, Marie-Chantal Perron, Chantal Lacroix et Chantal Fontaine) étaient des célébrations pour fêter la sortie de ce récit émouvant traçant le parcours d’Annie Grenier, devenue Annie Brocoli.
Rencontre avec LA préférée des tout-petits comme des plus grands, qui illumine carrément le paysage québécois depuis une vingtaine d’années déjà!
Annie, après 19 ans, tu as annoncé la semaine dernière que tu disais au revoir au personnage d’Annie Brocoli, la chanteuse pour enfants. Comment te sens-tu?
Je me sens super bien! En fait, mon deuil, je l’ai fait l’an passé. C’est à ce temps-ci de l’année que j’ai décidé que j’arrêtais. Alors j’ai bien pleuré mon brocoli, mon personnage, et après ça, il s’agissait de trouver la suite. C’était plus ça qui était angoissant. Une fois que j’ai trouvé, on dirait que tout s’est mis en place. Quand tu es à la bonne place, on dirait que tout avance! Ça a été incroyable. J’ai passé une année vraiment trippante. Alors c’est fait, c’est derrière moi, et le plus beau là-dedans, c’est que je vais rejoindre les enfants autrement. Je pense qu’au contraire, ils vont apprendre à me connaître plus personnellement, Annie Brocoli la femme, aussi l’enfant que j’étais et les difficultés que j’ai rencontrées. Je pense que ça peut servir tout autrement, mais au moins autant, sinon plus!
Janette Bertrand signe la préface de ton livre, elle qui souffre aussi du mal des mots. Tu parles d’ailleurs souvent d’elle comme d’une personne qui t’a insufflé une bonne dose de courage dans la vie.
Quand j’étais adolescente à peu près, je pense que c’est là qu’elle a su qu’elle était dyslexique, parce qu’elle savait qu’elle avait quelque chose… mais quoi? Elle ne savait pas. Le fait qu’elle l’ait dit, haut et fort, qu’elle était différente, moi, j’étais déjà une fan! Qu’elle soit dyslexique et qu’elle écrive, ça m’a donné le courage de me dire: «Moi aussi, je peux le faire»! C’est comme si elle m’avait donné la permission de rêver. Par la suite, je l’ai rencontrée et je l’ai tellement aimée… Sa tendresse, sa douceur, ça m’a touché au plus profond de mon coeur et j’ai eu envie de rendre la pareille. Ce qu’elle m’a léguée, j’ai envie de le léguer aux jeunes et aux parents qui sont inquiets pour leur enfant. Même si on est différents, oui, on peut faire ce qu’on aime dans la vie!
Une force cachée
On t’a posé plusieurs étiquettes dans la vie. À la fin du livre, tu confies que malgré tout ce que tu as vécu, tu ne voudrais rien changer au parcours que tu as eu parce qu’il a forgé celle que tu es. Que ta dyslexie est ta force!
C’est ça! Ça prend du temps en fait avant de le voir et de l’accepter… et c’est dommage! C’est aussi pour ça que je veux en parler haut et fort. Quand tu es à l’école, la seule chose que tu vois, c’est ce que ça t’enlève. Parce qu’à l’école, tu es jugée sur ce que tu fais et ce que tu fais, c’est aller à l’école et écrire. Tu dois performer, être bon. Donc, c’est tough en tabarouette! Sauf que quand tu as les lettres qui dansent dans ta tête, tu ne peux pas être comme tout le monde… tu vois, il n’y a rien d’immobile dans ma vie et c’est comme si mon cerveau était fait pour imaginer ce que les choses peuvent être. Ça apporte donc une créativité incroyable sans arrêt! Juste regarder quelqu’un marcher, moi je décolle! Je suis toujours dans un brainstorm sans faire exprès depuis que je suis née. Les B, les D et les Q, excuse-moi, mais c’est pareil (rires)! C’est ce que je faisais; je me revirais de bord pour voir ce que c’était, comme je fais avec les humains, comme je fais avec tout. Aussi, avoir dû travailler plus fort pour atteindre mes buts quand j’étais jeune, ça a fait en sorte que je ne me suis pas attendue à ce que la vie soit facile. Quand je me suis lancée dans le projet «Annie Brocoli», je ne me suis pas dit «Ah, ça va marcher!», je me suis dit que j’espérais travailler en tabarouette! La dyslexie apporte ça, de l’imagination, mais aussi plein de trucs pour réussir. Je suis une fille hyper structurée, bien organisée; je suis une battante, je n’abandonne JAMAIS! Je pense que je n’aurais pas été le personnage pour enfants qu’on connaît si je n’avais pas été dyslexique. Au bout du compte, au lieu de l’haïr, ma dyslexie, je peux juste lui dire merci. Ça m’a aussi amenée à être une femme d’affaires et à me débrouiller!
Je te cite : «Mon désir de me prouver que j’étais capable n’avait plus de fin. J’avais passé trop d’années à me trouver nulle. J’adorais mon métier, mais il y avait une bête en moi qui me poussait à dépasser mes limites de dyslexique». La bête qui te criait des noms, qui te disait que tu n’étais jamais assez bonne et qui ne te laissait jamais savourer tes réussites… est-ce que tu as réussi à t’en débarrasser?
Je ne m’en suis pas débarrassée complètement, mais elle est vraiment faible et j’arrive à lui fermer la gueule pas mal rapidement (rires)! Maintenant, j’arrive à savourer… par exemple, aujourd’hui, c’est le lancement et je savoure! Je suis à mon hôtel et je me suis dit que j’allais apporter des bulles, que j’allais apprécier le moment, seule… je ne suis pas en train de me dire que j’aurais dû faire ci ou ça. Non. Je savoure, c’est trippant, c’est un accomplissement. Je ressens maintenant de la fierté envers moi-même que je ne ressentais pas du tout avant. Ce n’était jamais assez. Je n’étais jamais assez. Aujourd’hui l’amour des gens rentre. Il y a plein de douceur dans mon coeur! La bête arrêtait tout, elle! Elle n’arrêtait pas de me dire que je pouvais faire les choses beaucoup mieux, autrement, mais maintenant non. Après le lancement, je ne sais même pas où on s’en va. C’est l’une de mes amies qui a tout organisé. Jamais je n’aurais laissé ça passer avant. Je lui aurais dit de ne pas le faire et que j’allais m’en occuper. Mais là, non. C’est plein d’amour! Crime, ça me touche! Vraiment, ça a beaucoup changé. J’ai des rechutes, c’est sûr, comme tout le monde en a j’imagine. Mais c’est bien, je suis bien!
Ça a été l’histoire de ma carrière, de ne jamais être fière. Ma vingtaine, ça a été moins pire, parce que je n’avais pas grand-chose en fait donc je n’avais pas à me taper sur la tête (rires)! Quand je pense à ça… ça m’a pris tellement de temps avant de savourer mon succès et d’avoir la compassion de dire: «Tu as travaillé fort! Non, ce n’était pas parfait, mais tu as rendu plein d’enfants heureux! Laisse-les décider s’ils t’aiment ou s’ils ne t’aiment pas. Laisse-toi aimer comme toi tu les aimes».
Quand maman est à «boutte»
Tu te confies à cœur ouvert dans le livre. On y apprend d’ailleurs qu’après des années à repousser tes limites, tu as fait un burn-out…
Je savais bien que je ne feelais pas… Je suis restée couchée trois mois sur mon divan. Mais je refusais d’entendre ce mot-là, parce que ça aurait été de m’avouer vaincue dans le temps, mais je ne voulais pas, je me débattais encore. Ça m’a pris du temps à comprendre, même si ma thérapeute me l’avait dit, sauf que je ne l’avais juste pas entendue et j’avais fait NON! Quand j’ai commencé à aller mieux, par contre, et que je me suis vue sur mon divan… oh my god! J’ai réalisé que j’étais complètement détruite, en petits morceaux! J’avais mal partout, je n’étais plus capable. Je m’étais tellement poussée que mon corps a lâché. Il a abandonné! C’est plate, parce que parfois, il faut en arriver là pour être capable de faire un vrai ménage dans sa vie. C’est dommage, mais après, c’est quasiment… c’est quasiment le plus beau cadeau qui me soit arrivé (rires)! Avec mes enfants… mes enfants m’ont forcée à me regarder. Le burn-out aussi… ça prend parfois des événements avant d’arrêter. Surtout quand tu as une tête dure comme moi!
En lien avec cet épuisement… Tu as fait «l’impensable pour une mère», tu as dit à tes enfants de t’en aller de la maison.
Ça, c’est un peu avant que je pète, avant que je fasse le burn-out final. Je n’étais plus capable, je n’avais plus la force… J’étais épuisée. Je n’avais plus la force de faire de la discipline, je n’avais plus la force de rien. Donc, eux autres, ils s’en sont donnés à coeur joie! C’est tout à fait normal. Quand tu n’as pas une mère qui te met des vraies limites, eh bien les limites sont facilement atteintes. Ouf... ça a été tough, ce n’est pas possible. Mes enfants sont magnifiques aujourd’hui, ils sont en santé, ils sont beaux, ils sont drettes (rires)! Mes amies me disaient toujours: «Les bonnes valeurs refont toujours surface» et ça me tapait sur les nerfs, mais elles avaient tellement raison!
Parmi les plus belles expériences de ta vie, on peut compter la surprise que Céline Dion t’a faite en 2013 en te demandant d’aller chanter chez elle pour l’anniversaire des jumeaux. Tu racontes que tu as même dû faire une thérapie pendant un mois pour trouver le courage d’y aller!
Heille, mets-en! La dernière personne devant qui tu veux chanter, c’est toujours bien la meilleure chanteuse au monde (rires)! C’était vraiment trop impressionnant pour moi. Mais elle a un quotient émotionnel incroyable, Céline. Elle m’a appelée et elle s’est mise à chanter Ma coccinelle, mais avec l’accent pis toute! C’était tellement drôle! Elle connaissait toutes mes chansons et elle m’a vraiment dit pour me déstresser: «Moi, je capote que tu sois là. Alors, peu importe, relaxe, moi je vais triper comme une folle». Ça m’a désamorcée et en sortant de là, j’ai braillé ma vie! Je conduisais et je ne pouvais pas croire que je venais de vivre ça. C’est quand même une expérience incroyable. Quand j’étais petite et que je n’en menais pas large à l’école, on m’aurait dit que j’allais avoir cette vie-là, je n’y aurais tellement pas cru! Et… Tu m’aurais dit qu’un jour j’allais écrire un livre, je t’aurais dit que tu te trompais de personnage!
Tu as été le témoin de Chantal Lacroix à son mariage et tu as réussi à lire le petit texte que sa belle-soeur avait préparé. Tu pensais même que ta dyslexie était guérie!
Ouiiiiii (rires)! Elle braillait trop! Je n’étais pas au courant du texte, ils me l’ont mis dans les mains à la dernière minute et je capotais! Je voulais tellement faire plaisir à Chantal que je l’ai lu, mais c’est vrai que j’ai pensé que j’avais dépassé mon trouble… Je me prenais pour Superwoman, pensant que j’étais capable de tout surmonter… mais j’ai fini par un burn-out, évidemment aussi! J’ai vraiment pensé que ça pouvait être correct et regarde, je pense que je vais mourir avec la dyslexie et c’est bien correct!
Comme Janette a dit, ton livre «c’est vraiment la preuve que les troubles d’apprentissage ne mènent pas à l’échec, mais à la réussite de soi!»
Oui! Je veux surtout donner de l’espoir aux parents qui stressent avec les enfants différents, et surtout aux enfants différents pour qu’ils se disent que tout se peut! Derrière les faiblesses, il y a des forces immenses qui, à un moment donné, prennent le dessus. Je souhaite aussi que, quand je vais aller parler dans des écoles ou dans des salles de conférence, les autres aussi vont faire de la place aux gens différents. Parce que l’ouverture autour de nous, ça change beaucoup l’estime de soi de ceux qui sont différents. C’est bon pour la santé de tout le monde, être ouvert!
Sinon, as-tu d’autres projets qui s’en viennent?
Éventuellement, j’aimerais écrire un roman. En fait, je voulais écrire un film, et finalement, après avoir écrit ce livre, je me suis dit: «Mon doux, seigneur! Ça va peut-être être un livre avant d’être un film»! C’est un livre vraiment pour les grands, pas les enfants. Je sais déjà de quoi il parlerait: l’histoire d’un petit garçon dans les années 1950… et il lui arrive plein de trucs! C’est une histoire de différence encore. J’ai déjà deux livres pour enfants d’écrits sur les problèmes d’apprentissage, mais je ne sais pas si ça va être publié ou pas, mais je vais travailler pour!
Annie sera au Salon du Livre de l’Estrie les 13 et 14 octobre prochains, en plus du Salon du livre de Montréal et de Rimouski en novembre.
En mal des mots d’Annie Brocoli, qui paraît chez Libre Expression, est disponible dès maintenant en ligne (24,95$) et en librairie.